[RP] Cabinet de travail du Régent de France et de Navarre

Le visage du chef des gardes se décomposa lorsqu'il entendit le régent parler. Qu'y avait-il à dire de plus ? Cet homme était un véritable danger, il fallait l'enfermer ou le réduire au silence. Voilà ce qu'il fallait faire. Voilà ce qu'il comptait obtenir. Cet homme-là l'avait ridiculisé, lui et ses gardes, et il était blessé dans sa fierté. Il voulait le faire payer. Mais pour ça, il devait se montrer convainquant, trouver les bons mots pour obtenir ce qu'il voulait. Sauf que devant lui, ce n'était pas n'importe qui, c'était le Régent et que les petites entourloupes qu'on peut faire à un simple habitant ça ne marche pas. De grosses gouttes de sueur descendaient le long de son dos tellement le garde se concentrait pour choisir ses mots.

" Voilà comment les faits se sont déroulés. Comme tous les jours, mon groupe faisait sa patrouille dans les rues de Bourges. Un trajet différent chaque jour pour ne pas donner d'habitude aux petits voleurs. Tout se passait bien, jusqu'à ce que nous arrivions dans la rue des tonneaux. Il y avait beaucoup de bruits. Des cris. Des exclamations. Cela provenait de la petite salle d'arme. Vous savez , il en existe quelques unes en ville. Chaque patron prétend y enseigner la vrai science de l'épée et apprendre aux hommes un style de combat unique. Mais bien souvent, ce genre de maison ne vaut pas grand chose, et on y apprend tout juste à tenir une épée. En gros, cela les maintient juste en forme. "

L'homme se faisait mousser. Firenze le voyait bien et surtout il ne partageait pas du tout son avis biaisé sur ces établissements. Certes l'enseignement y était aléatoire. Ceux qui avaient les moyens pouvaient se payer le luxe de leçons particulières, les autres devant se contenter de cours commun souvent bondés. Le patron qui l'avait embauché l'avait fait en pure connaissance de ses talents. Du moins, il avait vu que cet homme avait quelques connaissance sur la façon de manier une épée mais il était loin de savoir qui il avait réellement embauché.
L'ancien soldat voyait que le supérieur observait ses réactions. Il s'efforçait de rester calme. Il n'était pas là pour chercher querelle, il avait déjà suffisamment reçu de coups pour la journée. Même si c'était sa vie qui était en train de se jouer. On ne lui avait encore rien demandé alors il ne pouvait que patienter et parler lorsqu'on lui demanderait. C'était compliqué tout de même de rester totalement impassible. La bibine ne l'aidait pas vraiment sur ce coup. Autrefois, il aurait pu rester sans broncher, impassible devant n'importe quelle situation. Aujourd'hui, à l'instant présent, il y mettait toute son énergie pour ne pas trop remué, ne pouvant éviter quelques mouvements parasites.

" Nous nous sommes approchés. Cet individu était en train de se battre avec trois ou quatre élèves. Un affrontement qui n'avait rien d'une leçon. Le patron nous a demandé de l'arrêter. D'arrêter l'ivrogne qui allait nuire à son gagne pain. J'ai envoyé mes hommes. Et voilà le résultat. Il ne s'est pas rendu. On a du lui mettre un bon coup derrière le crane. "

Et quelque volées de coups de poings et de pied. Firenze tourna la tête vers le chef des gardes et le fusilla du regard sans rien dire. Ses yeux verts lançaient un éclat presque meurtrier, mais il voulait surtout lui signifier qu'il n'avait pas oublier lui le lynchage en règle qu'il avait subi et qu'il taisait à présent.

" Quand à ce qu'il est, et bien une bien pauvre personne, qui aime la bouteille. Le patron nous a montré son contrat signé. Son nom est Daroca."

Firenze avait repris le nom de son père. Un nom qui était inconnu à Bourges. Un nom qui lui assurait une certaine tranquillité. Quand à son titre de noblesse, il n'en faisait plus mention. Bien qu'il gardait précieusement les papiers dans un coffre pour ses enfants, mais pour l'heure, il ne se sentait plus le droit de le porter.

Le récit laconique du chef des gardes se termina enfin. L'homme en face de lui semblait écouter mais contre toute attente lui demanda son avis. Firenze se redressa un peu. A présent que ses muscles refroidissaient, il ressentait bien plus les effets de son passage à tabac. Ca n'était plus de son âge de recevoir une telle volée de coup. Et heureusement que son corps était de bonne constitution sinon il n'aurait sans doute pas été capable de se tenir debout. Il prenait conscience aussi que devant lui ce n'était pas n'importe qui.

" Daroca en effet c'est ainsi que l'on me connait à présent, mais il n'en a pas toujours été ainsi. "

L'ancien militaire brulait d'en dire plus mais il se retenait. Ce passé, glorieux par certains côtés, jalousé par d'autres, il avait tout fait pour l'oublier, pour se faire oublier alors ce n'était pas le moment de tout gâcher. L'armée lui avait certes évité une existence misérable mais que lui avait-elle offert en retour ? En y repensant, il y avait pas mal d'amertume. Sa vie personnelle et sentimentale avait été grandement chamboulé. Aujourd'hui, loin de tout ça, il avait tenté de rattraper le temps perdu avec ses enfants. Au final il n'était même pas certain d'avoir fait le bon choix.

" Dans les grandes lignes, Monsieur, c'est ce qu'il s'est passé. Mais laissez-moi vous raconter dans les détails ma version si vous le voulez bien. "

Firenze respira un bon coup. C'était dur de reconnaitre ce qu'il était : un misérable petit baron ivrogne qui devait travaillé pour nourrir sa famille. Tout ça pourquoi ? Parce qu'il était trop fier pour aller quémander la moindre aide . Mais il ne voulait rien devoir à personne.

" Je donne des leçons d'escrime depuis quelques années maintenant. Quatre, cinq, six ans peut-être. M. Galpier a bien voulu m'embaucher pour l'aider. Je venais de temps à autre regarder les élèves, un jour il m'a surpris à commenter, je me croyais seul, et il m'a proposé un emploi. Depuis je l'assiste, mais je suis que son employé. Je me contente essentiellement de leur faire tenir leur lame correctement et de leur apprendre la base. Il y a tellement d'élèves comparé à la taille de la salle que c'est un peu compliqué de faire quelque chose de plus pousser. Ce matin, deux des plus avancés en avaient marre de répéter inlassablement les même gestes. Ils en voulaient plus et surtout ils s'estimaient capable de faire un vrai duel. Ils pensaient être capable de se mesurer à moi. Un pauvre ivrogne inoffensif . Seulement, ils ne savaient pas de quoi j'étais capable. Je me contente d'enseigner ce que M. Galpier me demande rien de plus. Alors deux autres se sont mêlées à la joute. J'ai été obligé de me défendre mais je ne voulais en aucun cas les tuer. Juste leur donner une bonne leçon. Une leçon qu'ils n'oublieraient pas ."

Firenze ne tuait que lorsque c'était nécessaire. A la guerre. Hors là, il s'agissait tout juste d'une question d'égo. Il reprit sa respiration. On le sentait bien qu'il était animé de cette foi de passion pour cet art. Son regard se posa une fraction de seconde sur sa fidèle ami qui était entre les mains du chef des gardes. Il avait du masquer les vouivres du pommeau et de la poignée en les entourant d'une grosse lanière de cuir pour lui donner un aspect moins précieux et surtout moins reconnaissable.

" Quand M.Galpier est arrivé, il a du paniqué. La garde est arrivée peu après et ses hommes sont entrées dans le cercle. Je n'ai fait que me défendre. Je n'aurais jamais fait de mal à ces élèves. Affronté la garde ce n'était pas vraiment prévu. J'étais sur le point de mettre un terme au combat lorsqu'ils se sont jetés sur moi. J'ai du me défendre. Sauf que cette fois ce n'était pas de simples élèves, qui seraient assez vite découragés, j'ai donc du me montrer un peu plus persuasif devant les assauts des gardes. Je me suis peut-être un peu emporté, je le crains et je le reconnais. Mais en aucun cas, je n'ai infligé de blessures mortelles ou invalidantes. Juste de quoi les faire quitter le combat. Sauf que eux... "

C'était la partie la plus difficile à dire, la plus difficile à entendre aussi pour son interlocuteur que pour le chef des gardes. Non, Firenze n'allait pas passer sous silence les coups reçus gratuitement alors qu'il était désarmé.

" J'ai reçu un coup derrière le crâne qui m'a jeté à terre. J'ai perdu ma lame. Et là, alors que j'étais désarmé j'ai reçu une véritable grêlé de coups de poings et de pieds. Et me voici à présent devant vous dont j'ignore l'identité. "

Aller, histoire de finir en beauté, l'ancien militaire mettait les pieds dans le plat. Il avait toujours été ainsi à être direct.   

Les oreilles de l'ancien soldat ne retinrent qu'un seul mot. Un simple mot qui l'ébranla entièrement, aussi bien physiquement que mentalement. L'alcool ne le protégeait pas cette fois-ci. Il n'avait que peu bu ce jour de toute façon. Le choc était rude pour Firenze. Le mot ricocha dans son esprit craquelant la carapace qu'il avait érigé sur son passé. Tout cela lui rejaillissait à présent à la figure et ça faisait mal. Il tomba à genoux devant le Régent se libérant de l'emprise des gardes qui portèrent la main à leur fourreau. Firenze les ignora. Peu importe ce qui se passerait, ses yeux étaient posé sur Phillipe.

" Pardonnez-moi Altesse. "

Ce n'était pas une demande de pardon pour ne pas lui avoir donner son titre lorsqu'il avait parlé. Cela allait beaucoup plus loin. Firenze sut au moment où il l'avait entendu se présenter comme Régent, un frère ou un cousin de Paul, à en juger par le nom de famille, qu'il ne devait rien lui cacher sur ses fautes. Sur ses manquements. Pour bien des raisons, il aurait cent fois préféré que la patrouille le traine en cellule et le laisse pourrir jusqu'à un simulacre de jugement au lieu de l'amener ici. A présent c'était trop tard.

" Je suis Firenze Falcone, Baron de Lillebonne, ancien Secrétaire d'Etat à la guerre, ancien Colonel des Gardes Françaises. Je reconnais avoir manquer à tout mes devoirs envers la Couronne ses dernières années. Je m'en remets à vous. "

Par là-même, il répondait à sa question sur sa maitrise de l'épée. Il avait eu de bons professeurs lors de sa formation de soldat. Par la suite, son l'entrainement quotidien et de nombreuses heures de lecture d'ouvrages anciens l'avaient aidé à garder son niveau et améliorer ses techniques. Ses nombreuses missions également. Et de fait, il réduisait aussi à néant la couverture que lui avait offerte le nom de famille de son père. Mais il s'était caché bien trop longtemps.  Au final, ce n'était peut-être pas le bon choix. En y réfléchissant bien, il ne pouvait que constater son échec en tout point.  

Le chef des gardes ne comprenait pas pourquoi le Régent le congédiait de la sorte, lui et ses hommes. Ce Daroca était dangereux ! Pour preuve l'état de ces hommes, et de surcroit, il prétendait à présent être Baron. Cet homme, il ne le portait décidemment pas dans son cœur. Et le Régent voulait rester seul avec lui ! Clairement, il n'était pas ravi de devoir sortir, mais soit, un ordre était un ordre, avant de retourner dans le couloir il déposa la rapière de l'homme sur le bureau.

Firenze était surpris. Le Régent voulait poursuivre la conversation. Il ne pouvait qu'accepter sa demande. Il ne fut pas mécontent de prendre place dans le fauteuil désigné. Qu'attendait-il de lui au juste ? Les minutes qui allaient suivre seraient longues. L'ancien militaire ne savait par où commencer son histoire. Il avait vécu tant de choses. Servi tant de rois.

" Altesse, je ne sais par où commencer. "

C'était bien vrai. Firenze ne causait guère avec ses voisins dans son quartier misérable où il logeait avec ses enfants. Sa maison était d'ailleurs tout juste pour sa grande tribu.

" J'ai servi bien des roys. A l'époque, je ne me posais pas de questions. L'armée m'a sauvé la vie, m'a donné une famille. J'ai retrouvé par la suite une sœur. Une première épouse à laquelle je n'ai su parlé. Une autre qui me faisait perdre totalement la tête et qui m'a donné trois enfants. Elle avait un fort caractère et ce n'était pas toujours simple ni avec elle ni avec le couple régnant de l'époque. A sa mort, je me suis promis de ne plus me remarier.  Je me suis investi sans compter mes heures dans l'armée, ne retrouvant mes enfants que le soir. Et un jour j'ai rencontré mon épouse actuelle. Elle était veuve, espagnole et mère de jumeaux. Déracinée. Moi je n'avais pas tellement les idées très claires. Sans mes enfants, en y repensant je ne sais pas ce que j'aurai fait. "

Le pire probablement. Mais son cœur en avait décidé autrement. Anne-Marie avait su l'écouter sans le juger. Ils s'étaient soutenus mutuellement avec leur souci d'enfants en très bas age.

" Le bonheur n'a pas d'heure. Mari, père, beau-père et l'armée. J'avais trouvé un certain équilibre en tout ça. Et puis il y a eu cette rumeur de maladie qui se propageait. L'ordre de se déplacer ici en Berry. C'était le dépaysement complet. Les locaux se sont méfiés de tous ces exilés les premiers jours. Et je peux les comprendre. Il a fallu trouver ces marques, des habitations. Le déménagement a été rude pour tous. Mon épouse était totalement perdue, elle qui venait à peine de trouver sa place dans la vie parisienne.

C'était à présent la partie la plus difficile à raconter. Celle qui lui faisait honte. L'ancien militaire savait qu'il avait trahi ses engagements, ses serments. Ici, à Bourges, il lui avait fallu tout reconstruire. Retrouver un endroit où loger sa grande famille. Un lieu qui lui permettrait de s'évader un peu de ses responsabilités.

" Votre frère m'avait demandé de rester dans mes fonctions. Je n'ai pas su lui dire non. Alors j'ai continué. Mais je crois que ma tête était plus tourné vers ma famille...que vers mon travail et servir le Royaume. Je n'en avais pas vraiment conscience mais le jeune chien-fou que j'avais pu être avait muri et s'était assagi. Je voyais bien ma femme perdue, sans repère. Et j'avais pour ainsi dire pas eu, pas pris le temps de faire un voyage de noce. Alors j'ai laissé un bref message d'absence et nous sommes parties rien que tous les deux. Je ne voulais pas la perdre. "

Et ils avaient voyagé bien plus longtemps que prévu. En Espagne. En Italie. Pendant plus d'une année.

" Quand je suis revenu j'ai trouvé ma lettre de remerciement et j'en suis resté là. Pour moi ce n'était qu'une suite logique à mon absence. Aurais-je du faire savoir que j'étais de retour ? Aurais-je du faire un scandale ? Non. Je ne voulais pas de tout ça. C'était de ma faute. Et je pouvais m'estimer heureux de mon sort. Je sais que j'ai failli à mon devoir. J'ai fait passé ma famille avant le royaume. Et je dois dire que je n'avais pas prévu de me retrouver ici aujourd'hui si ces petits cons ne m'avaient pas poussé à bout. Désolé pour l'expression Altesse. "

Firenze avait oublié ce que c'était que de faire la conversation. Ses relations se limitaient à ses enfants, sa vieille gouvernante et une bonne. Et bien entendu, les diverses sorties pour acheter à manger. Mais ce n'était que l'affaire de quelques mots échangés, des banalités. Même dans son enseignement il parlait très peu. Il ne confiait guère ses peines et ses soucis à moins qu'on ne lui tire les vers du nez.  Que devait-il répondre à la question du Régent ? Le mensonge était totalement inutile, son état vestimentaire parlait pour lui.

" Je suis marié. J'ai sept enfants à charges."

Un joli petit nombre. La vie avait décidé de lui jouer un sacré tour sur ce point-là. Une malédiction familiale, du côté des Falcone, insinuait qu'il leur était impossible d'avoir une descendance mâle. Pour preuve, son existence avait été le fruit d'un savant complot qui avait failli lui coûter la vie à plusieurs reprises. Aujourd'hui Firenze connaissait la vérité. Et s'il portait le nom des Falcone, il n'y avait pas la moindre goute de sang Falcone qui circulait dans ses veines. Huit enfants même, si sa petite Marianne avait survécu à sa naissance mouvementée.

" Je vis d'amour et d'eau fraiche pour ainsi dire. "

Enfin dans son cas, c'était plutôt d'alcool. S'il avait toujours aimé boire pour de grandes occasions, jamais il ne s'était mis minable au point de ne plus pouvoir marcher droit. A présent c'était différent. C'était si simple de vider une bouteille, bien souvent de piètre qualité, mais ça lui faisait oublié sa situation. Il se faisait payer sa lâcheté peu importe l'impact sur sa santé. Anne-Marie était une artiste. Elle était tout pour lui.

" Mes enfants passent avant toute chose, le reste n'a pas d'importance. "

Peu importe les sacrifices, les privations, du moment que ces enfants pouvaient s'épanouir et grandir en sécurité. Sa propre situation passait loin derrière. Et maintenant avec cette esclandre, il devrait trouver autre chose pour avoir un peu d'argent.

S'il n'avait pas déjà été assis sur un siège, Firenze en serait probablement tombé le cul par terre en entendant les mots prononcés par le Régent. Il ne s'attendait pas vraiment à une telle proposition de sa part. C'était inespéré. Inattendu. Improbable même pour lui qui avait disparu de la circulation depuis des années. Mais c'était aussi une proposition qui méritait d'être considérer pour bien des raisons. La première étant bien entendu qu'elle émanait du Régent directement et que Firenze n'avait pour le coup rien demandé. En gros, il était même dans l'impossibilité de refuser parce qu'un tel refus pouvait avoir bien plus de conséquence néfaste sur sa propre situation que sur les dangers propres à sa future hypothétique nouvelle fonction. Son titre de noblesse était synonyme de droit mais aussi de devoir, devoir qu'il avait un peu mis de côté ses dernières années.

" Quels projets avez-vous pour moi, Altesse ? "

Une façon de lui dire qu'il n'était pas totalement fermé à reprendre un rôle sans toutefois accepter directement, ce qui montrerait son empressement à redorer son propre blason plutôt qu'un investissement sincère. Ce qui n'était pas son genre. Il était même loin de chercher son intérêt personnel. Sa jeunesse avait été un atout dans ses fonctions précédentes. Aujourd'hui, c'était différent. L'ancien militaire sourit amusé en repensant à certaines situations. Arriverait-il à doser ses efforts en cas de danger ? Non. Sinon, il ne se serait pas retrouver dans ce bureau à rencontrer un Régent qu'il ne connaissait pas et à parler de son avenir.

" Je dois vous dire une seule chose : malgré les années, je ne suis pas fait pour être enfermé dans un bureau toute la journée. "

Le reste ne dépendait que des intentions du Régent et de sa propre volonté à retrouver une vie plus saine. Un sevrage qui serait sans nul doute difficile. Firenze pouvait s'attendre à toute sorte de proposition. Machinalement, il porta sa main à son cou en quête de son médaillon et il se souvient de l'avoir donné au petit prince il y a bien longtemps. Quel age avait-Il à présent ? Bonne question.

Firenze écouta la proposition du Régent. Il ne se voyait pas occupé un poste très important, ni même retrouvé une place au conseil d'Etat. Il savait pertinemment que les réunions à longueur de journée avaient le don de lui mettre les nerfs en pelotes. Même s'il faisait des efforts pour mettre de l'eau dans son vin, la soupape de sécurité finissait toujours par explosée et ne donnait pas une bonne image de lui. Mais tout ça c'était du passé.

" Donc vous voulez que je me charge du recrutement pour l'Armée Royale et de l'instruction. "

Recruteur. Instructeur. C'était au chose que SEG. Le baron était quelque peu soulagé. Il aurait plus de liberté, moins de réunion, enfin ça c'était bien entendu en théorie. Car au bout d'un moment, il faudrait renommer des officiers, un chef légitime pour cette armée. N'importe qui d'autre aurait surement pris ça comme un fardeau, voir une punition. Pour Firenze c'était un cadeau inespéré, tombé du ciel. Cela impliquerait bien entendu de longues journées de travail, et des absences auprès des siens. Mais cela lui permettrait aussi de subvenir aux besoins de sa famille, tout en se rendant utile pour le Royaume. Déjà son esprit était un ébullition devant l'ampleur de la tâche et les mesures à prendre au plus vite.

" Il me faudra préparer une annonce de recrutement à diffuser dans toutes les villes et villages du Berry.
A titre personnel, une monture pour assurer mes déplacements dans ces villes.
Peut-on garantir au minimum un repas de viande par semaine aux futures recrues ?
Ah...et dernier point, non des moindres, lorsque j'étais encore en fonction, il avait été évoqué le rapprochement de la prévôté et de l'armée pour ne faire plus qu'un seul corps d'arme. Je dois avouer ne pas être au courant des dernières lois ou édits en la matière..."

Et puis subitement, il se tut. Embarrassé d'avoir trop parlé. Les mots étaient sortis seuls au fur et à mesure de sa pensée. La fibre était toujours en lui. Servir son Royaume à nouveau ne lui faisait pas peur.

" Excusez-moi."

Fit-il penaud. Il avait conscience de devoir parcourir les terres du Berry pour trouver les meilleurs éléments et constituer une armée digne de ce nom. Anne-Marie était habituée à le voir découché, pour de mauvaises raisons ces derniers temps, mais il savait qu'elle comprendrait. Bien qu'il savait aussi qu'en rentrant ce soir, il y aurait une longue discussion qui ne se ferait pas sans hausser le ton. Mais il était sur d'une chose, leur amour était réciproque.

" Je crois que je me suis fait des amis cet après-midi. "

C'est alors que la porte s'ouvrit à nouveau à la volée, dévoilant le visage du chef des gardes furieux. Firenze bondit de son siège en grimaçant un peu et sa main se tendit par réflexe vers sa rapière posée sur le bureau du Régent mais son geste resta en suspens. Le contraste était saisissant entre les deux hommes : l'ancien militaire affichait un calme apparent tandis que le chef des gardes avait les veines du visage gonflées de colère. Firenze ne le quittait pas des yeux.

" Hors de question que ce sac à vin fasse le recrutement. Il ne va recruter que ses amis, et on le sait tous, ce sont des ivrognes. "

Firenze replia ses doigts avant de les rouvrir. Oh que oui ça lui démangeait de lui filer une bonne droite dans son joli minois. Les propos étaient limite. On ne parlait pas ainsi à un Baron. Il pourrait réparer réclamation. En somme un duel en bonne forme pour réparer le tord. Mais il n'avait pas envie. Cependant il le toisa en lui disant ceci. Firenze avait une petit idée pour régler le problème mais la parole était au Régent. Il n'agirait pas sans ordre à moins que l'autre ne tente un geste désespéré.

" Mesure tes propos lorsque le Régent se trouve dans la même pièce que toi ! "

Statut quo entre l'ancien militaire et fraîchement propulsé recruteur en chef de l'armée et le chef des gardes. Firenze le gardait à l'oeil. Il se saisit des documents tendus, un peu de lecture ne lui ferait pas de mal pour se remettre à jour. Et puis, maintenant,il aurait tout le loisir de venir fouiner a la bibliothèque s'il lui manquait une information.

" Je pense que nous discuterons de ce malentendu demain à la première heure. Ma première action est de faire convoquer tous les hommes dans la grande cour. Faites leur savoir, pour demain à la première heure. "

Firenze n'avait pas l'intention de laisser sa situation dans le flou ni même de ne pas tenter d'arrondir les angles avec ce chef des gardes qui quelque part lui avait rendu un grand service sans le vouloir.

" Altesse, j'accepte votre proposition. Je n'ai guère de solution de rechange. Il est grand temps que je cesse de me comporter comme un gosse. J'ai bien conscience de la chance que vous m'offrez là. Et je ferais tout pour mener a bien ma mission."

***********

Le lendemain matin, après avoir mis les points sur les i avec le garde, Firenze se trouvait à nouveau devant le régent.

" Altesse, j'ai laissé ici même ma précieuse amie. Je me sens nu dans elle à mes côtés mais je ne puis la reprendre puisque l'on me l'a confisquée hier. Il se trouve aussi que je n'ai point prêter serment lors de votre arrivée."

Il ne pouvait pas non plus la réclamer de but en blanc ou demander au régent de la lui rendre simplement. C'était impensable de donner un ordre.

Firenze ne se fit pas prier pour reprendre sa précieuse lame. Il avait vécu tellement d'aventure avec elle que sans, il se sentait comme nu. Et puis, c'était aussi un cadeau d'un roy qu'il avait beaucoup apprécié. Le Régent lui faisait une demande en échange. Dans un sens heureusement qu'il ne s'agissait que d'une demande, car le militaire savait qu'il ne pourrait totalement la tenir notamment en cas de soulèvement du peuple. Ce qui pouvait arriver.

" Je vais essayer, Altesse. Je préfère largement m'en servir contre les ennemis de la Couronne mais je sais aussi que le peuple est facilement malléable. Et dans ce cas, je me devrais de faire tout mon possible pour vous protéger ainsi que le Prince. "  

Firenze redoutait cette situation où bien souvent il fallait faire un choix entre faire son devoir, ses propres idéaux et ses relations. On en ressortait pas toujours indemne quelque que soit le choix effectuer. Il avait jusqu'à présent toujours défendu la Couronne. Tant qu'il croyait dans la justesse de ces actes et des ordres données, il n'avait aucune raison de trahir.

La proposition du Régent le troubla fortement. Doutait-il de son engagement ou de sa capacité à reprendre du service ?

" Altesse, avec tout le respect que je vous dois, je ne saurais faire mon travail si je ne sais d'avance que ce n'est que pour une durée déterminée. Je sais qu'il y a beaucoup de chose à faire, à améliorer, à changer peut-être également. Mais comment voulez-vous que je m'implique totalement si dans deux mois quelqu'un d'autre prend ma place et décide de tout rechanger à sa sauce ? L'armée en patirait. La sécurité du Royaume également. Il faut de la stabilité.

Je sais dans quoi je m'engage. C'est certes une responsabilité différent de celle de Secrétaire d'Etat à la Guerre mais elle implique pour moi de m'éloigner bien plus souvent de ma famille. Ma femme va râler, va me houspiller, mais elle sait aussi que je suis un soldat dans l'âme. Je ne prend pas cette mission à la légère.

Si ce que je fais ne vous convenez pas alors vous me remercierez et on s'arrêtera là.

Quand à mon serment, je ne le cautionne pas à mon poste. Cela fait partie de mes devoirs envers la Couronne. "

Ce poste était sa chance. La dernière peut-être. Firenze connaissait les sacrifices qu'il devait faire pour mener à bien sa mission. Sa famille entière lui manquerait lorsqu'il irait en déplacement mais ses enfants étaient en age de le comprendre à présent. Anne-Marie lui ferait la tête quelques temps avant de retrouver son sourire. Elle était tout pour lui et elle ne le savait que trop bien.

" Je sais que les apparences ne jouent pas vraiment en ma faveur mais je sais aussi que j'ai déjà surmonté bien pire dans le passé. Dormir sous la tente ne me fait pas vraiment peur. Faire avec peu, je crois que c'est ce que j'ai fait de mieux ces dernières années. Ma condition physique, inutile de le cacher, n'est pas optimum mais avec un peu d'entrainement je sais que je peux le faire. "

Et avec beaucoup de volonté aussi. Firenze était bien conscient de ne plus être un jeune premier, même s'il n'était pas un vieux crouton encore, et qu'il ne pouvait plus compté que sur ses connaissances tactiques et martiales, et sa capacité à gérer son effort. Un point où il manquait encore de pratique.

" En même temps je l'ai un peu cherché " fit-il avec un sourire, un autre ne l'aurait même pas écouté et directement jeté aux cachots, " je ne compte pas fuir mes responsabilités envers la Couronne plus longtemps. Quels sont vos mots, Altesse ? "

" Alors, allons-y " Fit-il un sourire aux lèvres.

Prêter serment n'était pas un acte à faire à la légère. Ni sous le coup de l'empressement. Firenze avait murement réfléchi. Il devait être surement un brin fou pour s'engager à nouveau dans une telle voie. Il n'était pas inquiet d'être à la hauteur ou non de sa nouvelle mission, il se connaissait suffisamment pour savoir que quand il avait un objectif il faisait tout son possible pour mener à bien sa mission. L'inquiétude venait plutôt des derniers mots du Régent.

Il mit un genou au sol. Solennellement. C'était le protocole. Et même s'il n'y avait personne d'autre pour entendre les mots qu'il allait dire, il y mettait un point d'honneur à en respecter le déroulement.

" Moi, Firenze Falcone, Baron de Lillebonne, reconnais Gabriel Premier comme légitime Roi de France et de Navarre ainsi que Phillipe Henry-Charles comme Régent du Royaume de France et de Navarre. Je m'engage à répondre à toutes leurs demandes, ainsi que de mener à bien la mission qui m'est confiée : à savoir le recrutement et l'instruction des futurs soldats du Royaume. "

Le noble n'en menait pas large. Il avait improvisé son serment rassemblant les souvenirs de ceux précédemment prononcés. Celui-là avait peut-être plus de valeur à ses yeux puisqu'il n'avait pas répété bêtement les mots prononcés par le chargé de cérémonie.  

Une prestation de serment ce n'était pas rien. Mais une prestation de serment privée ça laissait une place plus importante aux sentiments. Firenze avait prononcé ses mots de son plein gré, habité par sa parole. Il faisait, il le savait, un choix lourd de conséquence sur sa vie personnelle, mais la sécurité de Royaume était bien plus importante. Il écouta le Régent et se releva à son invitation.

A présent place au discussion. Le baron n'avait pas oublié les propos alarmant du Régent concernant la sécurité du Royaume. Il pressentait qu'il allait devoir se mettre à l'ouvrage bien plus tôt que prévu.

" Que puis-je faire pour vous ? Quelles sont les rumeurs si alarmantes ?"