[RP] Place d'armes

Tôt le matin, les soldats et autres conscrits se trouvèrent tirés de leur routine habituelle par une convocation en tenue. C'était le lendemain de son entrevue avec le Régent, par une de ces journées de la mi-juin 1662 qui s'annonce belle et ensoleillée. Pour Firenze le réveil était également inhabituel. D'ordinaire, il dormait ou plutôt correction, il cuvait jusqu'à une heure assez avancée de la matinée, son levé se situait plutôt vers les douze coups de midi qu'au petit matin. La nuit précédente n'avait pas été bien longue : entre la discussion mouvementée avec son épouse et leur réconciliation au coin du feu, le nouveau recruteur en chef n'avait pas beaucoup dormi.

Son apparence en revanche avait grandement changé. Evidemment, on effaçait pas quatre ou cinq années de vie mouvementée et pas forcément très saine en une seule nuit mais il présentait mieux. Même s'il portait toujours la barbe, celle-ci était rasée de frais, et dissimulée son visage amaigri. Il avait également raccourci sa chevelure, pour tenter de la discipliner un peu mais là c'était peine perdu, et arborait un catogan sous son chapeau. Côté vestimentaire par contre, c'était vraiment du recyclage, il avait dégoté un vieil ensemble à la coupe militaire pas trop usé qui le rendait assez élégant même si on pouvait facilement remarqué que le tissu et même la coupe datés d'un autre temps. A son flanc , contre sa cuisse, il s'était dégoté une épée dans l'armurerie en attendant de récupérer la sienne laissée dans le bureau du Régent la veille.

" Messieurs, Dames, je vous ai fait convoqué ce matin pour me présenter à vous. Le Régent a décidé de me charger du recrutement et de l'instruction de l'Armée Royale."

Firenze inspira un bon coup. Il n'avait pas pour habitude de se cacher ou de parler en prenant des pincettes mais là, il se posait la question du nom sous lequel il devait se présenter à ses hommes. Beaucoup avait du connaitre Victoria et donc le nom de famille ferait surement tiquer certains. D'un autre côté s'il se présentait sous le nom de son père avec son titre de noblesse on se demanderait d'où il sortait. Et s'il était fier de son titre de noblesse, ce n'était pas dans l'immédiat une information qu'il souhaitait marteler à qui voulait l'entendre. De plus se servir uniquement du nom de son père pourrait peut-être protéger sa famille.

" Vous vous demandé surement pourquoi lui. J'ai été par le passé colonel des gardes françaises, puis secrétaire d'état à la guerre avant de prendre un peu de recul pour m'occuper de ma famille. J'ai connu des batailles, des changements de Roy, aujourd'hui je suis là devant vous pour vous transmettre les connaissances que j'ai pu accumulées que ce soit au combat ou par mes anciens instructeurs. "

- Ouais ! Et la science du lever du coude aussi !

Si les hommes étaient conquis à l'énoncé du palmarès, ce fut un fou-rire général qui les gagna lorsque le chef des gardes mentionna son amour de la bouteille et il continua sur sa lancée.

- Ce qu'il ne vous dit pas c'est qu'il a sauvagement agressé vos collègues qui tentaient de le maitriser la veille et que je voulais le faire mettre au trou !

" Silence dans les rangs ! Je vois que votre mésaventure ne vous a pas servi de leçon. Que diriez-vous de m'affrontez à la loyale, là tout de suite , sans personne pour m'assommer par derrière ? "

La vengeance est un plat qui se mange froid. Firenze ne comptait pas vraiment l'humilier mais c'était là une occasion de régler définitivement le problème avec cet homme. Un chef de garde devait avoir un certain niveau en escrime et de fait, ça serait une bonne expérience pour tous de voir qu'on peut toujours s'améliorer au lieu de se contenter de se que l'on sait. Par ailleurs, le chef des gardes savait pertinemment que les autres gardes l'avaient roué de coups. Firenze avait les cotes bandées sous sa chemise et il savait qu'il ne pouvait levé son bras droit sous peine de grimacer de douleur. Ce qu'ignorait son adversaire en revanche c'est qu'au fil des années, il s'était forgé une solide main gauche.

Si la scène s'était déroulée dans la rue, Firenze aurait probablement collé son poing sans avertissement dans la gueule du garde qui osait l'insulter. Mais ici, il s'agissait surtout de faire preuve de retenue et d'agir en tant que supérieur plutôt que de se laisser aller à des sentiments plus personnel. Il n'avait plus trop l'habitude il est vrai de mesurer son comportement. Ses dernières années, il ne s'était préoccupé que de sa famille, peu importe comment il parvenait à ramener de quoi les nourrir, peu soucieux de ce qu'il pouvait lui arriver, sans toutefois tomber dans l'illégalité complète. Aujourd'hui, il devait redevenir la Glace. Pour l'instant, il n'était qu'un petit glaçon. Il était encore bien loin d'afficher un visage totalement impassible et indéchiffrable. Il décida de jouer franc-jeu devant tout le monde.

" Il est vrai que ces derniers temps je n'ai pas mené une vie très saine. Je ne vais pas interdire la consommation d'alcool, c'est parfois notre dernier rempart pour tenir face à un ennemi très coriace, de même qu'il permet aussi à nos médecins de faire des miracles avec des moyens limités sur les champs de bataille. Cependant, je ne pourrais tolérer de vous prendre en état d'ébriété avancé pendant vos heures de services. "

Firenze savait pertinemment que s'il interdisait de but en blanc la consommation d'alcool les hommes iraient boire en cachette et le feraient même peut-être au détriment de leur mission. Concernant le second point, c'était tout de même difficile d'expliquer sa résistance face à son arrestation et encore moins de la justifier.

" Concernant la seconde accusation, je ne vais pas me cacher. J'ai riposté c'est vrai. Mais aucun de vos camarades n'a passé l'arme à gauche. Ils sont à l'infirmerie avec des blessures superficielles. J'irai les voir à la fin de ce rassemblement pour prendre de leur nouvelle. S'il y avait une leçon à tirer de leur mésaventure je vous dirais qu'il faut se méfier des apparences, que ce n'est pas parce que votre oeil vous montre une situation facile qu'il ne faut pas se poser de question et réfléchir.

A présent, je ne veux plus en entendre parler. Passons à l'objet de ce rassemblement. Mettez par deux et affrontez-vous. Je vais vous observer et je passerais ensuite vous donner quelques conseils. Mais d'abord, Monsieur le chef des gardes, vous vouliez connaitre mon niveau je vous attend. Et vous tous, observez et apprenez."

Firenze dégaina, de la main droite, la rapière empruntée dans la réserve, ce n'était pas sa lame, il ferait avec. Il n'y avait rien de menaçant dans son attitude. Il attendait le bon vouloir de son adversaire. Peut-être que l'homme se dégonflerait...

Firenze remarqua du coin de l'œil une agitation anormale dans les derniers rangs, des têtes qui bougeaient, puis il aperçut la tête blonde du Régent. Il ne dit rien quand à sa présence sachant pertinemment que cela finirait en courbette interminable, tant de sa part que de ses hommes, et que son évaluation des effectifs se terminerait sans qu'il ne puisse en tirer quelque chose.

" Allez, sortez donc votre lame, je ne vais pas vous manger. "

- Me ridiculiser à nouveau, et devant mes hommes, surement, beugla le chef des gardes qui l'avait encore en travers de la gorge de cette nomination. Cependant, l'envie d'en découdre une bonne fois pour toute avec ce menteur était bien plus grande que celle de passer pour un lâche auprès de tous les hommes d'armes réunis dans la cour. Et il dégaina se lançant immédiatement à l'assaut sans même un salut réglementaire comme l'aurait voulu ce genre d'escarmouche. Firenze ne refusa pas ce combat et para la première attaque même s'il grimaça en encaissant le choc. Vu la force des coups et la rapidité de l'enchainement, il n'était pas en mesure de changer son épée de main comme il l'avait prévu.

" Ah...comme il est plaisant de pouvoir échanger. "

L'ancien secrétaire d'Etat, malgré sa piètre condition physique du moment, était en train de s'amuser comme un enfant. S'il avait mis quelques minutes à s'adapter au rythme et à la lourdeur des coups de son partenaire d'un jour, à présent, il lui semblait que l'homme n'était pas capable de faire plus. C'était le moment de changer la donne. Enfin s'il était en mesure de le faire. S'il y parvenait, il perturberait certainement la moissonneuse qui s'agitait en face de lui. Clairement, les deux hommes n'avaient pas appris le même art de manier l'épée.

- Comment arrives-tu à résister à mes attaques ?, souffla-t-il, un homme de ton age aurait déjà du céder...

Firenze sourit alors qu'il écartait de nouveau la lame trancheuse d'un coup d'épée. Il devait bien y avoir six ans d'écart entre les deux hommes mais Firenze parvenait à contenir la puissance du chef des gardes. En fait, c'était plus subtile que ça, il la détournait habilement et se servait de cette force pour entrainement son adversaire à rajouter des mouvements parasites à son style de combat ce qui l'amenait fatalement à dépenser plus d'énergie que nécessaire.

" Je n'ai pas toujours suivi les règles à la lettre, mon ami, sache que toute attaque a son contre. Tes coups sont puissants je le reconnais volontiers." En vérité, il était à présent totalement incapable de lever son bras. " Mais tu te laisses emporter par ta force et l'élan de tes assauts ce qui te dessert grandement. Sur un champ de bataille, il est fort possible que de tels coups te permettre de pourfendre un bon nombre d'ennemi , en combat singulier il te faut réfléchir un peu plus ou sinon tu es mort. "

D'un mouvement habile, Firenze l'avait laissé se faire emporter par son élan et au moment où leur corps s'étaient croisé il l'avait agrippé par le bras tout en inversant sa prise sur le pommeau afin que la lame pointe en direction de son flanc exposé. Le nouvel instructeur était en nage. Il espérait que son partenaire est compris la leçon. S'il avait été en meilleur forme, nul doute qu'il n'aurait pas laissé durer autant, et que alors il lui aurait flanqué une rouste mémorable.

" Le combat est terminé. "

De simples mots pour signifier que Firenze ne continuerait pas au-delà. Et si le ton était calme, c'était tout de même un ordre. Aller plus loin n'apporterait rien de bon, si ce n'est des blessures et ce n'était clairement pas son objectif en lui accordant ce duel. Firenze devait déjà commencé par se remettre du tabassage avant de songer à se battre jusqu'à son dernier souffle. Seulement le chef des gardes ne l'entendait visiblement pas de cette oreille.

- Non !
" Comment ça non ? "
- Je n'ai pas dis mon dernier mot !

L'homme sifflet ses mots entre ses dents tel un serpent prêt à mordre. Firenze qui n'avait pas baissé sa garde s'attendait donc au pire.

" Je t'ai accordé ce combat. Tu m'as montré ta valeur. A présent accepte la défaite. Je ne suis peut-être pas le plus fort mais la force pure ce n'est pas tout ce qui compte. Que veux-tu de plus ? "

Firenze lui tendait l'autre main en signe de paix. Il n'avait jamais voulu en faire son ennemi.

- Tu ne seras jamais légitime ici. Jamais.
" Je n'ai pas demandé ce poste. Le Régent me l'a proposé. Allez cesse donc tes jérémiades, tu n'es plus un enfant. Je préfère me battre à tes côtés que de devoir brisé ta carrière. Je ne suis pas là pour prendre ta place à la tête des forces du palais. Je serais simplement en charge de regarnir l'armée de France et de former aux bases les recrues."

Cela donnait matière à réfléchir quand on exposait les choses ainsi. Firenze n'avait pas dévoilé toutes ses capacités dans cette joute. D'une part parce qu'avec sa forme du moment, il en était totalement incapable. D'autre part, parce que certaines techniques ne méritaient pas d'être utilisée pour ce genre de combat. Il tenait à les garder secrètes.

Firenze vit bien que l'homme n'avait pas encore tout à fait digérer leur combat mais il espérait avec le temps qu'il pourrait réellement compter sur lui en cas de coup dur. Le royaume n'avait pas besoin de querelles intestines au sein même de son armée.

" Bien. Messieurs. Formez des paires et affrontez-vous. Attention on évite l'accès de zèle, je ne veux pas me retrouver avec une demi-douzaine de blesser. Vous avez assez profité du spectacle,  à présent il est grand temps de vous dépenser ! Je passerais parmi vous , ainsi que le chef des gardes pour corriger vos postures ou vous aiguiller si j'observe des lacunes. "

En l'associant à cet exercice, il espérait apaiser la rancœur à son égard. Après tout certains des soldats était ses hommes. Firenze leva la tête en direction du Régent l'inclinant légèrement avec un sourire léger. Il était peut-être temps de se parler.

" J'ai du m'employer ", concéda-t-il avec un sourire, " le chef des gardes a de la force, peut-être ce qui lui a permis de grimper les échelon, mais ... en toute franchise cela ne fait pas tout pour bien enseigner aux recrues. Je comprend pourquoi ses hommes n'ont pas hésité quand ils ont du me maitriser. Je pense que je vais devoir leur apprendre un peu de finesse. "

Firenze n'était pas mécontent de marcher aux côtés du Régent, légèrement en retrait, cela lui permettait de récupérer. Et même si quelque chose d'imprévu devait se produire, il n'hésiterait pas, quelque soit sa condition. Il n'était pas mauvais de la main gauche c'était plutôt du côté de l'endurance qu'il pêcherait.

" Certains ne sont pas à leur place, je pense, mais rien d'alarmant. Servir roi, régent ou royaume, peut se faire sous plusieurs formes. Tout le monde ne voit pas l'épée comme le prolongement de son bras ... mais on ne peut pas enlever à un homme ou une femme le désir de protéger sa patrie. Parfois ce sont ceux qu'on croit les plus faibles qui parviennent à faire de grandes choses. "

Firenze en savait quelque chose. Lui avait pu bénéficier d'une formation complète avec d'excellent professeur. Il se souvenait encore de la première fois qu'il avait tenu une pique entre les mains...un rire lui échappa. S'il savait tirer, clairement il préférait les lames.

" Il va me falloir quelques jours pour mettre chacun à la place qui lui convient, quitte à bousculer les petits 'passe-droit' qui se sont installés. Certains ne vont pas apprécier, mais si chacun est à la bonne place alors nous serons plus efficace. "

" Je comprends."

Ayant connu les grandes divisions au sein des différentes forces armées du royaume, les rivalités qui en découlent, mais aussi le prestige d'appartenir à l'une ou l'autre de ses forces, Firenze était mitigé sur l'idée. Pourtant au fond de lui, il était aussi persuadé que si le Régent voulait s'affirmer et redonner une direction à suivre il fallait nécessairement passer par une refonte totale. Ca plairait ou pas. Avec un peu de jugeote et d'intelligence, c'était facile à comprendre qu'entretenir autant de branches qui se tournaient les pouces ça coutait aussi de l'argent.

" On pourrait déjà commencer par mettre en commun la phase de recrutement au lieu que chaque corps possède son école. Et cela va de soi, la période de formation théorique. Au terme de celle-ci, la recrue pourrait choisir sa branche : soit l'armée, soit la police avec une formation plus poussée sur le système d'enquête et tout ce qui va avec.

Pour les différents corps de l'armée en elle-même, il faudrait tout de même garder un corps d'élite pour votre sécurité, celle du Dauphin. Mais avec des conditions d'accès à ce corps très encadré. Il ne suffirait pas d'être au-dessus du lot dans un domaine pour y prétendre. Et peut être même définir un nombre de place, par exemple pour pouvoir y entrer il faudrait que l'un d'eux décède ou démissionne. "

Sur ce point, il prêchait un peu pour sa cause. Les Gardes Françaises ou les Mousquetaires cela faisait rêver bien plus de jeunes enfants que soldat tout court. Et puis, il fallait bien une petite carotte pour motiver les nouvelles recrues.

" Le changement casse la monotonie, ça fera parler pour sur. "